1998...Notre première fois à Harlem. Je m'en souviens comme si c'était hier. Doudou photographe aussi. La même émotion nous étreint. En 1998, il ne faisait pas bon traîner dans ce quartier emblématique de New York. Notre logeuse de l'époque nous avait conseillé de ne pas regarder sous les porches, de ne pas dépasser les rues avoisinantes et surtout, de ne pas pénétrer dans le Bronx. Les voitures de police sillonnaient le quartier tout gyrophare dehors. Mais Harlem nous avait reçu à bras ouverts, le cœur battant d'une énergie débordante. Tombés amoureux de New York, nous avons effectué plusieurs séjours dans Big Apple. Puis 2011/2012, 3 mois à New York, 3 mois dans un appartement de Harlem, 1 tranche de vie courte, trop courte...J'aurais aimé y rester plus longtemps. J'ai pleuré de joie en atterrissant à JFK Airport, j'ai pleuré de tristesse quand le Yellow Cab nous y a ramené. En 2011/2012, la "gentrification" du quartier était en cours, les américains aisés s'octroyaient et réhabilitaient les Brownstones. Les tours opérateurs déversaient leur cohorte de touristes le week-end dans les Gospel et les brunchs dominicaux. Qu'allions-nous trouver 7 ans après?
La ligne rouge du métro nous jette sur 110eme Street, Central Park North. Devant nous Six Avenue, connue aussi sous les noms de Lennox Avenue ou Malcom X Boulevard. Longue, propre, peu fréquentée par ce froid glacial. Nous la parcourons, pénétrons plus en avant dans ce qui fut jadis le berceau du jazz. J'y cherche des yeux les commerces, les supermarchés que nous fréquentions il y a 7 ans, les démarches chaloupées et dansantes de ses habitants. Tout a disparu, ou presque. Le whole Food Market a supplanté les petites échoppes, l'air faussement décontracté et l'allure saccadée du BOBO aisé me plongent dans un désarroi complet. Partout des façades restaurées et des immeubles modernes fleurissent. Des restaurants branchés se sont installés en contrebas des immeubles. Nous en testons un. Rien à redire sur la qualité des plats ni sur l'accueil. Mais l'arrière salle réservée pour un anniversaire enfantin se révèle le réceptacle des bobos français du coin qui déposent leur progéniture en toisant du regard les clients attablés.
Une délicieuse et copieuse pizza "to share" (à partager) plus tard, nous empruntons les rues avoisinantes. Couleurs gaies, menuiseries neuves, tout respire ici le renouveau et...La
"blanchitude". Harlem l'Authentique, Harlem la Reine de la culture noire serait-elle en voie de disparition? Non, mais sa
reconversion en quartier touristique est bel et bien effective. Profite-t'elle à sa population d'origine? Pas sûr.
131eme street, notre street où nous avons vécu 3 mois, ses Brownstones, certes rénovées, mais toujours brown ! Ce
grès rouge si particulier et ce style si reconnaissable sont caractéristiques des premières maisons construites dans Harlem. La population noire est encore
présente dans ce quartier synonyme de trafic sur fond de guerre des gangs dans les années 70 et 80. Aujourd'hui, exit les revendeurs et les
guetteurs assis sur les marches. Bonjour la bourgeoisie qui grimpe allègrement les escaliers de ces demeures rénovées après avoir extirpé du coffre de leur grosse voiture vélos et
poussettes.
Nous nous rendons sur 125eme street, la rue commerçante par excellence de Harlem, la rue du mythique Apollo Theater. Autrefois réservée aux blancs, cette emblématique salle de spectacle, chantre de la musique noire, fait partie du National Register of Historic Places (Registre National des Lieux Historiques). A partir des années 30, l'Apollo Theater célèbre la Jazz Music, puis connait une période de déclin dans les années 70. Dans les années 80, grâce à la reprise de l'Amateur Night, (radio crochet où le public fait office de jury), l'Apollo Theatre retrouve ses lettres de noblesse. Chaque mercredi, des anonymes se produisent dans l'espoir de marcher sur les traces de Michael Jackson, Ella Fitzgerald, Aretha Frankin ou James Brown. Malheureusement pour nous, la saison reprend en février. Je commence à claque des dents. Décidément, ce mois de janvier est particulièrement froid. Je laisse Doudou à ses photos et me réfugie dans l'un de ces magasins à plusieurs étages où l'on trouve des chaussures de marque à bas prix : DSW (Designer Shoes Warehouse). J'y fait l'acquisition d'une paire de bottes fourrées et étanches, moches, vue à plusieurs reprises aux pieds des new-yorkaises les plus élégantes. Quand on a froid à New York, au diable les critères Fashion, on est pragmatique !
Mes petits petons bien au chaud, je récupère mon glaçon de mari dont les doigts restent collés sur le bouton de son Nikon D750. Nous errons de rue en rue, entre Lennox
Avenue et Seven Avenue également nommée Adam Clayton Powell Jr Boulevard (célèbre député et défenseur des droits
civiques des noirs). Au hasard, Doudou photographie des églises. Pas les plus touristiques.
Façades traditionnelles ou modernes, elles résonnent chaque dimanche matin de chants qui prennent aux tripes : les Gospel. En vieil anglais, Godspell signifie "appel de Dieu". Un appel que les hordes
de touristes entendent un peu trop et pas forcément dans le bon sens. Écoutent dans un moment de ferveur pour mieux le raconter à leur retour et l'oublier aussitôt. Ou pas. Peine, douleur,
espoir, valeurs humaines, jaillissent des paroles et de la musique Gospel qui coule sur les peaux noires et
blanches, s'insinue dans les méandres de l'âme. Creuse des sillons indélébiles... Ou vite comblés, si on vient en spectateur impatient de goûter au sacro-saint brunch dominical. A tel point que certaines églises interdisent aux touristes de quitter l'office avant la fin de la messe, pour ne pas troubler son déroulement.
Adam Clayton Powell Jr Boulevard semble un peu moins gentryfié, mais il en prend le chemin. Malgré les murs colorés des hôpitaux qui rappellent l'histoire d'Harlem. Malgré les éclats de rire et les pas de danse
esquissés au coin d'une rue pour lutter contre ce froid mordant.Un peu hébétés de ne pas retrouver totalement le Harlem de nos souvenirs, nous quittons
le "encore" quartier afro-américain de New York dont les origines remontent en 1658. De quartier bourgeois blanc à la fin
du XIXe siècle (eh oui !), il périclita début du XXe siècle. S'ensuivit une aventure longue, douloureuse, émaillée de hauts et de bas, de guerres de territoires et de musique jazz, de déracinement et d'ancrage. L'histoire est un éternel recommencement, dit-on. Une nouvelle bourgeoisie conquiert à nouveau Harlem, blanche, noire, métisse, mondiale. De quoi se poser des questions sur son devenir.
Doudou iceberg se précipite sous terre. Ses doigts sont prêts à se détacher du reste de son corps et ses orteils ressemblent à des esquimaux, au chocolat bien sûr. Tu as vécu en Norvège,
toi? Ah, oui, c'était il y a longtemps, tu étais petit et tu supportais le froid? Ben wi, à 56 ans, c'est dur de stationner dehors par -10 ! La chaleur du métro de New York nous remplit de bonheur. Oui, mon gros nounours polaire, nous somme bien dans le bon sens, Downtown Manhattan.
Oui, mon petit renne des neiges, j'écrirai un article dans le blog sur la façon de prendre le New York City Subway. Tu as encore des doigts ? Alors prends des photos pour
mon article ! (lien pour l'article sur le métro de New York))