"Où mange-t-on ce soir " ? Me demande un Doudou en manque de calories après sa trempette en eau chaude. Je te propose de retourner au même endroit qu'hier soir. Doudou semble ravi, il est vrai que nous y avons passé un excellent moment. Un petit cours de japonais ? Non ? Et bien si, tra la la. Cet izakaya s'appelle Tengu no kakurega. On y sert des Yakitoris de toutes sortes et la spécialité du chef est l'Omakase, assortiment de brochettes sur un lit de légumes. Miam, un délice, j'en salive déjà. Vous voudriez la traduction ? Ben, faites comme moi, tapez traducteur sur internet et cherchez! Cest excellent pour les cellules grises des seniors, hihi. Bon, je vous raconte notre soirée de la veille ?
Nous traversons la galerie marchande Okaido qui, comme toutes les galeries marchandes japonaises regorgent de salles de jeu qui permettent de gagner tout et n'importe quoi. Des « Minions » nous observent d’un œil torve.
Nous parcourons ensuite une centaine de mètres dans une rue un peu sombre et nous arrivons devant le restaurant. La devanture de Tengu no kakurega se caractérise par la présence d'un masque de Tengu, race de démon à long nez et au visage rouge. Au-dessus de l’entrée, le masque exhibe son appendice nasal proéminent. Bigre, Cyrano a de la concurrence.
Un plafonnier famélique dégage une lumière blafarde qui auréole le lutin maléfique d'une atmosphère démoniaque. Des formes humaines errent dans la rue, attirés par les effluves des mets, les rires qui jaillissent par les portes à peine ouvertes des izakayas. Tels des pêcheurs prêts à vendre leur âme pour une simple bouchée de viande, nous franchissons la porte.
Nous pénétrons dans un couloir car l’entrée même du resto se trouve à l’intérieur. Nous sommes accueillis avec chaleur pour qu’aussitôt le serveur nous invite à sortir. Qu’avons nous donc commis comme impair ? Nous avons oublié d’ôter nos chaussures dans ledit couloir ! C’est ce qui s’appelle mettre les pieds dans le plat, hi Hi (resto, plat, vous y êtes ?). Nous sommes invités à les déposer dans des casiers et à regagner le restaurant. Nous choisissons le fameux Omakase. Le spectacle peut commencer, celui des yakitoris sur le grill.
C’est un festival de brochettes qui dansent, virevoltent dans les mains du cuisinier. Elles frétillent, grésillent dans un nuage de fumée enveloppant un chef souriant ceint par un bandana rouge tentation. On pose devant nous une grande assiette remplie de légumes sur lesquels le chef dépose au fur et à mesure de leur cuisson des bouchées de poulet, porc, coquilles saint Jacques embrochées pour le pur ravissement de nos papilles d’occidentaux.
Sous nos yeux écarquillés par un vin rouge japonais on ne peut plus jeune, un minuscule ascenseur amène les précieuses brochettes et autres plats vers les hauteurs, vers d’autres papilles qui semblent bien humidifiées. Des éclats de rire fusent et accompagnent des conversations hautes en couleur. Le saké et la bière coulent à flots à l’étage supérieur, camouflé derrière d'indiscrètes portes coulissantes. Tengu ensorceleur, petit démon rouge dont la protubérance nasale fouille les âmes les plus secrètes pour en extraire l'essence même de nos faiblesses. La tentation est forte de se laisser glisser dans une rivière de saké au pays du Karoshi (mort par excès de travail).
Non, pas de tentation pour nous ce soir, Doudou, ce n'est pas raisonnable après avoir cuit pendant une heure et perdu toutes nos vitamines et sels minéraux. L’œil goguenard du Tengu nous suit dans une rue sombre parsemée d'éclats de lumière. Vais-je dormir cette nuit dans mon hôtel capsule ou osciller entre trou noir et trou de verre ? (de saké bien sûr)