"Le ciel est bleu, le soleil brille, c'est un temps idéal pour Brooklyn Bridge" chantonne un Doudou déjà debout. Surprenant, n'est ce pas ? D'habitude, il git au fond de son lit tandis que je virevolte partout. Mais là, qui dit ciel dégagé et soleil dit au pire -20 au mieux -10 degrés. Et mon versant italien n'aime pas mais pas du tout ! A peine sortis de l'hôtel, je confirme : aujourd'hui, on va se les geler grave ! On prend le métro, Doudou. Ça sera déjà ça de pris en chaleur. J'ai des réminiscences du Pont de Brooklyn en hiver lors de notre séjour à New York en 2011, pétrifiés par le vent qui s'engouffre à travers les cordages. Un moment extraordinaire, à condition de ne pas être mariée à un mordu de la photo qui s'arrête toutes les 30 secondes pour immortaliser l'East River, la Statue de la Liberté, la Skyline et les arches mythiques de Brooklyn Bridge.
Nous descendons à la station Brooklyn Bridge City hall. Savais-tu Doudou
que la mise en service du Pont de Brooklyn date de 1883 ? Même que l'hôtel où nous passerons notre dernière nuit à New York,
The
Beekman a Thompson Hôtel, a ouvert ses portes cette année là quand il était l'un des premiers skyscrappers et abritait des bureaux. Ben oui, je t'invite pas n'importe où, tu vas dormir avec l'Histoire. En
attendant, je te raconte celle du pont? Avant la construction du pont, Brooklyn était une ville à part entière que l'on ralliait depuis New York par le Ferry. La construction du Pont de Brooklyn débuta en 1869 sous l'égide de
l'architecte John Augustus Roebling. Ce dernier décéda la même année des suites d'un accident survenu sur le chantier. Brooklyn Bridge est un pont suspendu.
Cekoidonc ? "Un pont suspendu est un ouvrage métallique dont le tablier
(il fait la cuisine ? ), est attaché par l'intermédiaire de tiges de suspension verticales à un certain nombre de câbles flexibles ou de chaînes dont
les extrémités sont reliées aux culées, (???)
sur les berges", dixit Wikipedia. Et, à part ça ? Ce beau bébé mesure
1824m de long, 84m de haut, est monté sur des piles (électriques ? ) de 90m enterrées à 35m de profondeur. Paraît-il qu'il faut tester le profil
aérodynamique (moi je ne connais que le profil grec ! ) d'un pont. A l'époque, cela n'existait pas encore alors John Augustus Roebling installa des armatures 6
fois plus résistantes. Ah, j'oubliais, il a coûté 15 millions de dollars (mes yeux s'allument) de l'époque ! Allez, c'est parti pour 2km dans le
froid.
Je chausse mes lunettes de soleil. Je comprends à présent pourquoi certains new-yorkais portent des lunettes de soleil même quand ce dernier est absent. Elles protègent les yeux du vent glacial qui brûle le visage. Capuche rabattue sur mon bonnet et bas du visage enfoui dans mon cache nez, j'affronte le froid mordant. Il m'est impossible d'attendre le boîtier noir qui s'attarde sur la Skyline, sur les câbles d'acier qui strient de gris l'île de Manhattan. Je garde le cap sur la droite du pont, le côté gauche étant réservé aux vélos. Gare à celui qui franchit la ligne blanche séparant ces deux territoires. Sous mes pieds, le vrombissement des voitures résonne et fait vibrer la structure métallique de Brooklyn Bridge. Sur la voie inférieure réservée aux véhicules, 120 000 par jour se ruent à l'assaut de celui qui fut le plus grand pont suspendu de son époque.
Les visiteurs sont peu nombreux à affronter la froidure de l'hiver new-yorkais. Les voiturettes des policiers sont désertées par leurs occupants, comme dans les pires scenarios des films catastrophes. Le photographe souffre. Ses doigts recouverts de gants épais n'arrivent pas à déclencher son boîtier noir. Ses pieds perdent toute sensation. Alors, il abandonne ses protections, appuie d'un doigt engourdi sur sur l’œil photographique, enfouit ses mains dans la protection chaude et douce, bat de la semelle. Puis progresse de quelques mètres et recommence cet étrange rituel qui pousse tous les amoureux de la photo à se torturer pour faire LE cliché original.
Nous atteignons enfin, après un temps qui me semble interminable, l'un des 5 boroughs de New York : Brooklyn. A la sortie du pont, nous bifurquons vers la droite en direction de Brooklyn Heights, quartier résidentiel et hors de prix ! Doudou, tire le portrait de Mamie Patty emmitouflée jusqu'aux yeux, des fois qu'on ne me croirait pas quand je dis qu'on se les gèle grave.
C'est bon ? Direction les petites rues du quartier, ses maisons colorées, ses brownstones et le 70 Willow Street où se dresse la maison de Truman Capote.
Nous tentons un petit tour vite fait sur la Brooklyn Heights Promenade, où la vue sur la Skyline est magnifique. Mais les bourrasques glaciales nous contraignent à regagner rapidement l'intérieur.
Réchauffés par une pizza géante et un verre de vin, nous repartons courageusement affronter le vent glacial qui balaie l'Est River. Le boîtier noir se déchaîne, fige dans le froid et l'instant un pont dont la construction coûta la vie à 27 personnes. Vit défiler 21 éléphants du cirque Barnum pour prouver sa résistance. Brooklyn Bridge, tant de fois photographié, qui marque le début de Down Under the Manhattan Bridge Overpass, Dumbo, dès que l'on passe en dessous pour se diriger vers Manhattan Bridge.
Le métro circule sur Manhattan Bridge provoquant, à chaque passage , un tonnerre assourdissant qui rebondit sur les façades des anciens entrepôts et usines du quartier.
Au dessous de lui s'étale le quartier de DUMBO, gentrifié. Quelques rues désertées par les touristes (merci le froid) reflètent encore un passé industriel qui, malheureusement, est rattrapé par les bobos en tout genre. L'ombre règne entre ces murs, il me tarde de retrouver le soleil. Le froid a eu raison du boîtier noir et des doigts qui n'arrivent plus à le saisir. Nous prenons un café chaud et un cup cake minuscule hors de prix dans un coffee shop tendance. Le photographe reprend vie, il rêve déjà de coucher de soleil sur Brooklyn Bridge.
La vision est sublime, le froid implacable. Grâce à lui, le Pont de Brooklyn s'offre à nous seuls, au seul regard du boîtier noir. Il chavire entre les câbles d'acier, caressé par les rayons d'un soleil rasant de janvier. Si Paris vaut bien une messe, Brooklyn Bridge vaut bien une journée dans un froid hivernal et glacé.
Des ombres chinoises s'immiscent dans l'or du ciel new-yorkais, scène irréelle qui nous laisse médusés. Statues immobiles pétrifiées dans le vent qui traverse l'East River et s'engouffre dans la Baie de l'Hudson, nous admirons cette dernière image. Nous sommes bien à New York, nous sommes bien dans la Big Apple.